Odlomak

INTRODUCTION

Dans l’expression artistique de l’homme, le visage de l’Autre est souvent celui de la femme. Le rapport que construit un poète avec son sujet féminin peut nous donner des aperçus sur son rapport avec l’Autre, le monde, et même le milieu artistique dont il fait partie. Dans Les Fleurs du Mal, la femme occupe une place monumentale, soit dans le domaine du Bien, soit dans celui du Mal. Pour Baudelaire, la femme est ange ou démon,mais ce qui est certain, c’est que Baudelaire reste impressionné par la femme, qui est pour lui imposante et même surnaturelle. Dans la poésie de Baudelaire il y a <<deux types de femmes, ou plutôt deux idées de femmes, qui hantent la vie et l’esprit de Baudelaire. Les premières, projections en gloire céleste,les secondes, projections en gloire infernale.>> La femme est un être idéal, quel que soit son caractère. Les émotions de Baudelaire à l’égard de la femme sont conformes à la cette binarité : « Baudelaire hait l’idole autant qu’il l’adore, et se hait de l’adorer autant que de la haïr » .La femme sera pour toujours l’Autre, l’objet, l’incompréhensible. C’est précisément cette attitude absolutiste à l’égard de la femme qui met une distance indéniable entre le poète et son sujet féminin. Tandis qu’il voit dans l’homme une dualité qui comprend à la fois le Bien et le Mal, il semble souvent voir la femme en tant qu’expression toute simple du Bien ou du Mal, même s’il a parfois du mal à décider lequel des deux elle incarne.

 
ÉLABORATION

La femme chez Baudelaire se voit souvent distillée et concentrée dans le liquide abstrait de l’Idéal. Elle devient la représentation pure d’une idée ; ce qui lui donne à la fois un pouvoir immense et un caractère assez unidimensionnel dans la poésie. La Beauté, un des idéaux qu’elle incarne, est un objet de culte. Entant que déité féminine qui asservit l’homme devant son image immuable, elle reste nécessairement loin de celui qui peut l’encenser ou l’abhorrer, mais jamais la toucher. La première strophe de l’« Hymne à la Beauté » établit l’ambivalence sacrée de cette déesse

Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l’abîme,
O Beauté ? ton regard, infernal et divin,
Verse confusément le bienfait et le crime,
Et l’on peut pour cela te comparer au vin.

Le poète ne peut pas deviner les origines de cette déité féminine, mais il est certain qu’elle vient de très loin— même d’un autre monde. Il pose la question, ciel ou enfer ? – mais en fin de compte, il ne s’inquiète guère de la réponse:

Que tu viennes du ciel ou de l’enfer, qu’importe !
O Beauté ! Monstre énorme, effrayant, ingénu !
Si ton oeil, ton souris, ton pied, m’ouvrent la porte
D’un infini que j’aime et n’ai jamais connu ?

Il l’adule et la craint, parce qu’elle ouvre la porte d’« un infini », un univers absolu. Les trois premiers vers du poème énumèrent les contradictions qui existent dans la Beauté. Des mots juxtaposés se suivent tout au long du poème, insistant sur la valeur multiple de cette puissance féminine. Le poète rappelle ces contradictions dans la dernière strophe, mais c’est pour insister sur l’admiration religieuse qu’il porte sur cette femme, quelles que soient ses origines: « De Satan ou de Dieu, qu’importe ? » . Si le poète vénère la beauté, c’est qu’il idolâtre la femme, devenue « objet de culte » .La froide et rigide distance entre le poète et la Beauté personnifiée s’établit sur d’autres niveaux dans le sonnet « La Beauté », où la déesse garde une distance affective et intellectuelle devant le va-et-vient du monde mortel:

Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris ;
J’unis un coeur de neige à la blancheur des cygnes ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

La Beauté est indifférente à l’amour de l’homme. L’impossibilité de saisir ce « sphinx incompris »établit un gouffre intellectuel que le poète ne peut que respecter. La femme, objet mystique et puissant d’un regard presque obsédant dans l’oeuvre baudelairienne, apparaît quelquefois sous forme de cadavre. Son corps tellement fétichisé s’immobilise, impuissant sous le regard pénétrant du poète. par exemple la pourriture d’« Une Charogne ». Bien que méconnaissable sous ses déchirures et ses mouches, elle est investie d’une féminité indéniable : elle est « comme une femme lubrique » au début du poème, et se trouve assimilée à l’amante du narrateur, qui sera « semblable à cette ordure » . Ce rappel que la femme aimée sera un jour comme ce tas confus de putréfaction peut bien choquer le lecteur, mais le corps de la femme est souvent ainsi expirant, disséqué, et pris pour sujet macabre dans les poèmes de Baudelaire. La comparaison qui rapproche la femme vivante et la charogne l’une de l’autre remplit des fonctions poétiques essentielles pour l’image de la femme dans l’oeuvre baudelairienne.

Pourquoi porter le regard sur le cadavre de la femme ? La fascination de l’artiste pour la mort est permanente. Mais pour le poète qui reconnaît le danger de cette contemplation de l’audelà,la substitution de l’Autre permet de porter son regard sur la mort sans risquer l’anéantissement de soi. Cette substitution macabre permet au poète une exploration de la
mortalité: ce qui se passe chez l’Autre ne nous touche pas, car l’Autre reste éloigné. Dans l’oeuvre du poète qui subit toujours l’angoisse du désir, ce regard macabre est également une tentation de libération. D’une certaine façon, la beauté de la femme représente une menace pour le poète, qui se trouve devant une force hors de son contrôle et un objet hors de sa portée.Pour le poète qui se sent castré ou impuissant devant la femme sexuelle, la mise à mort représente à la fois sa maîtrise de la mort et sa domination de l’amour. Le cadavre de la femme, est privé d’une grande partie de son pouvoir séducteur.

Le cadavre féminin fournit également une étrange occasion d’examiner la vie. La « Charogne » de Baudelaire est un être vivant malgré sa putréfaction. L’abondance de verbes et d’adverbes dans le poème en témoigne : elle « [o]uvrait d’une façon nonchalante et cynique;Son ventre plein d’exhalaisons ». Même après sa mort, elle participe à la continuation du cycle de la vie:

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride
D’où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.

La charogne est continuellement en mouvement et en vie:

Tout cela descendait, montait comme une vague
Ou s’élançait en pétillant
On eût dit que le corps, enflé d’un souffle vague,
Vivait en se multipliant.

 

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